Madame Hofmann, du côté de la vie

Mi-2020. Le COVID 19. Le confinement. Crise existentielle et vie au ralenti (je plaide coupable). Et pendant ce temps-là, Sylvie Hofmann, l’héroïne du dernier film de Sébastien Lifshitz, vit à 100 à l’heure : cadre de santé en oncologie à l’hôpital Nord, à Marseille, elle jongle avec des équipes contaminées, des patients en colère, des pénuries de lits et de personnels et un budget qui ne suit pas. Et si ce n’était que ça : sa mère, ses enfants, son mari lui happent le peu de temps qu’elle ne consacre pas à son travail. Sauf que son corps, à un moment, se rappelle à elle. Peu à peu, le doute s’immisce : et s’il était temps, pour elle, de profiter un peu de la vie ? 

Pour dresser le portrait de cette femme solaire, Sébastien Lifshitz, maestro du documentaire, plonge dans la boîte à outils qu’il construit depuis plus de vingt ans. Principal ingrédient : filmer dans le temps long : comme dans Adolescentes, on suit l’héroïne au fil des saisons. Le film devient chronique, où les bons jours succèdent moins bons. Et c’est là que la magie du cinéma fait son oeuvre :les changements imperceptibles dans le regard de l’héroïne nous deviennent soudain accessibles.

Lifshitz aime explorer les confins, les parts d’ombres : il l’a montré avec Petite Fille, portrait d’une enfant née garçon. il aime les anonymes qui se mettent systématiquement côté de la vie, même quand les vents sont contraires : on pense à son très beau Les Invisibles, portraits de personnes homosexuelles assumant leur vie. Enfin, il met en lumière des personnages qui résistent aux stéréotypes.

« Madame Hofmann » ne fait pas exception. Comme tous les personnages auxquels s’intéresse Lifshitz, et comme chacun de nous, elle n’est réductible ni à son âge, ni à son genre, ni à sa condition. C’est une femme, elle approche l’âge de la retraite, et elle déborde d’énergie. Elle lutte, avec ce qu’elle a, elle ne lâche rien et pendant les coups durs, sa gouaille prend le dessus. Ses « peuchère » soulèvent des montagnes. Mère, fille, épouse, patronne, employée, soignante, patiente, elle est tout cela. A l’hôpital, comme elle le dit, elle a eu mille vies. Quelque chose nous dit qu’une fois la page de sa vie professionnelle tournée, elle en aura mille autres.

Il faut beaucoup de Madame Hofmann pour que l’hôpital public tienne, il en faudrait plus encore pour que nous puissions vivre ensemble en harmonie.

Ma Berlinale 2024

Bon, ça y est, c’est terminé, j’ai rangé mon badge, ma doudoune, mon appli de la BVG (la RATP berlinoise), je rentre de ma cure de cinéma hivernale à Berlin. Dix jours, trois ou quatre films par jour – plus, je sature – 10 000 pas quotidiens au minimum, à crapahuter d’est en ouest et pas mal de currywursts. J’ai ri, j’ai été surprise, j’ai fait le tour du monde tout en restant au bord de la Spree. Voici mes premières conclusions.

  • Le documentaire a le vent en poupe, surtout quand il est en partie made in France. Après « Sur l’Adamant » en 2023, c’est Dahomey de la franco-sénégalaise Mati Diop, qui a gagné l’ours d’or cette année. Apparemment, le film, qui raconte la restitution de 26 objets précieux par la France au Bénin, vaut le détour. Apparemment parce que, true story et nuit berlinoise oblige, je ne me suis pas réveillée le matin de la projection, donc j’en suis quitte pour aller voir le film en salles le 25 septembre. 
  • Le cinéma français a fait mouche, mais à des degrés variables. On esquisse un sourire avec Bruno Dumont, prix du jury pour l’Empire (actuellement en salles), un hybride de Game of Thrones, d’un film de Ken Loach et de Bienvenue chez les Chtis. On s’ennuie un brin avec Olivier Assayas qui avec « Hors du Temps » nous raconte son confinement bourgeois et hypocondriaque en Vallée de Chevreuse – spoiler : je ne suis pas sûre qu’on ait envie de revivre cette période, quand le film sortira le 19 juin, même avec un quatuor de comédiens très photogéniques. En revanche, le 11 septembre, il faudra se précipiter pour voir le très joli « Langue Etrangère » de Claire Burger, élégant récit d’un échange linguistique teinté de zeitgeist, qui cache peut-être une histoire d’amour.
  • Mon tropisme pour le cinéma allemand se confirme. J’ai adoré le très beau « Sterben » de Matthias Glasner, qui contrairement à ce que son titre (« Mourir », en VF) indique est une ode à la vie et aux êtres que l’on aime, qu’ils soient vivants ou morts. Si jamais le distributeur du film lit ces lignes, je lui suggère vivement de trouver un titre plus accrocheur pour permettre permettre au film d’avoir le succès public qu’il mérite. Et j’ai pleuré comme une madeleine devant « Mit Liebe, Eure Hilde », biopic sur Hilde Coppi, résistante allemande pendant le nazisme, magnifiquement interprétée par Lisa Liv Fries, l’héroïne de la formidable série Babylon Berlin. Pas de date prévue pour cette pépite, mais je parie qu’elle va passer sur Arte sans tarder, peut-être à une heure tardive.
  • Isabelle Huppert a du souci à se faire. Elle n’était pas, cette année, la seule actrice à présenter deux films en compétition. L’autre, c’était Renate Reinsve, et pour moi c’était elle la queen de la fête. La longiligne norvégienne vue Julie (en12 chapitres) en 2021 crève littéralement l’écran le très bon « A Different Man » comédie drôlatique dans laquelle elle incarne une dramaturge qui tombe amoureuse d’un acteur défiguré – le sujet du film étant un autre acteur défiguré qui subit un traitement miraculeux et devient beau gosse, suite à quoi rien ne va plus. Et comme si ça ne suffisait pas, la talentueuse native d’Oslo – détentrice d’un accent britannique, héritage de sa formation en Ecosse – brille aussi dans « Another End », une fable de science-fiction sympathique mais un peu molle, dans laquelle elle partage l’affiche avec Gael Garcia Bernal et Bérénice Béjo. Aucun de ces deux films n’a de dates de sortie pour l’instant mais je veille !
Renate Reinsve, reine de la fête réchauffée malgré la température glaciale (photo Andreas Rentz/Getty Images)

5 raisons de ne pas louper Reality

Allez-voir ce film ! D’abord, parce qu’il fait chaud et que les salles sont climatisées. (non, je rigole).

Raison #1 : ça dure 1h22. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussée à y aller, vu que mon père, qui m’accompagnait, avait des exigences très strictes : « Un. Film. Américain. Court. » Exit donc Oppenheimer et Yannick. Nous voilà partis pour Reality. Or, 1h22, quand ça marche – et ça marche- c’est le temps qu’il faut pour raconter une histoire sans aucun temps mort en ne laissant pas au public une seconde pour reprendre son souffle. Le tout, sans l’asphyxier

Raison #2 : une histoire incroyable, passée totalement inaperçue. En 2017, une collaboratrice des services de défense américains âgée de 25 ans, est arrêtée pour avoir fuité à la presse des infos sur l’ingérence russe dans les élections US de 2016 . Depuis, Reality Winner – c’est son vrai nom – a passé quatre ans en prison. L’argument avancé par la justice américaine (spoiler : on est dans l’ère Trump) : elle fait planer une menace immédiate sur la sécurité du pays. Really ?

Raison #3. Une héroïne en acier trempé. Reality Winner, une meuf comme vous et moi, qui adore les animaux et poste des trucs sur Instagram. En fait, la comparaison s’arrête là. Pour le reste, elle est entrée dans l’armée à 19 ans. Elle parle farsi, ourdou, et darsi, des langues dont j’ignorais l’existence avant de voir le film. Elle est prof de crossfit. Elle a tenu tête au FBI pendant une plusieurs heures alors que personnellement je serais décédée de stress et j’aurais avoué absolument tout ce que voulaient ces trois gros balèzes au bout de 35 secondes. C’est d’ailleurs le sujet du film.

Raison #4. Un dispositif fascinant. La réal de Reality, Tina Satter, a d’abord écrit une pièce de théâtre avant de l’adapter au cinéma. Son matériau de base : la retranscription exacte de l’interview de Reality Winner par le FBI. Ajoutez à cela un décor minimaliste et banal – l’intérieur d’une voiture, d’une celui d’une modeste maison de location – qui renforce l’impression d’enfermement tandis que quelques effets spéciaux brouillent habilement la frontière du récit avec la fiction. Difficile de ne pas être scotché à son siège.

Raison #5. Une actrice qui monte. Pour interpréter Reality, Tina a choisi Sidney Sweeney, une étoile montante de 26 ans, dont le CV n’a rien a envier à son personnage. Ex-championne de MMA, elle a aussi le sens du business : à 14 ans elle a rédigé un business plan sur 5 ans pour persuader ses parents de s’installer à LA (spoiler : ça a fonctionné). Derrière son apparence de girl next door, sa moue énigmatique et une fragilité mêlée de détermination font mouche pour ce rôle, mais pour d’autres aussi : dans la vraie vie, elle passe avec aisance d’une série Netflix à un clip des Rolling Stones.

Carte postale de Berlin

Hier, c’était la journée des femmes, mais au Festival du Film de Berlin, qui se tient tous les ans en février dans la capitale allemande, on n’attend attendu le mois de mars pour jouer la carte de l’égalité entre les sexes. Dirigé depuis 2019 par un duo mixte (Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek), la Berlinale surveille de très près le respect de la parité, comme en témoigne un rapport (« Gender Evaluation Report ») dans lequel tous les films sélectionnés sont décortiqués et évalués sur des critères comme l’identité de genre de l’équipe de production, du réalisateur ou de la réalisatrice, mais aussi celle des équipes techniques (montage, etc.). La récompense suprême, l’Ours d’Or, est revenue celle année à la catalane Carla Simon, pour son film Alcarràs, mais ce n’est pas la première fois: depuis la création du festival en 1951, six femmes ont été honorées… contre seulement deux récipiendaires féminines de la la Palme d’or.

Et puis surtout, chaque année, une abondance de films et séries présentés à Berlin mettent les femmes en valeur. C’était déjà le cas, en 2020, avant la pandémie. Après un petit break en 2021 (où le festival a été écourté et dominé par la crise sanitaire), l’esprit féministe de la Berlinale est revenu en force pour la 71ème édition. En témoignent quatre exemples, qui illustrent aussi l’incroyable diversité de la sélection.

La ligne, d’Ursula Meier

Dans ce film intimiste et puissant, la réalisatrice franc-suisse Ursula Meier dissèque une relation mère-fille toxique. A la suite d’une bagarre (extraordinaire séquence s’ouverture), Margaret est condamnée à ne pas s’approcher de la maison familiale de moins de 200 mètres. Cette « ligne » à ne pas franchir devient le symbole entêtant du lien familial.

Good luck to you Leo Grande avec Emma Thomson, de Sophie Hyde

Emma Thomson, plus solaire que jamais, campe une quinquagénaire récemment devenue veuve, Nancy, qui n’a au fond qu’un seul vrai problème: elle jamais connu l’orgasme. Résolue à ne pas mourrir idiote, Nancy s’offre les services d’un beau prostitué. Au fil de leurs rencontres, non seulement Nancy se découvre (dans tous les sens du terme), mais surtout la possibilité d’une vraie relation entre deux êtres humains s’esquisse.

Isabelle Huppert dans « About Joan »

Dans combien de films l’inoxydable star du cinéma français a-t-elle tourné? Cent? Deux cents? La réponse restera sans doute un mystère, tout comme la marque de sa crème anti-rides et le contraste entre sa boulimie de films et la minceur de sa silhouette. Habituée de la Berlinale, elle défendait cette année un film irlandais, « About Joan » dans lequel elle campe une mère, une fille, une épouse un peu borderline. Et recevait, au passage, un hommage pour l’ensemble de sa carrière. Empêchée de venir le recevoir en personne pour cause de positivité au COVID. Mais qu’on se rassure. Cette récompense n’est sûrement pas la dernière.

Gangubai Kathiawadi

Que vous soyez fan de Bollywood ou pas, il faut voir ce film épique, haut en couleurs et trépidant de Sanjay Leela Bhansali, l’un des maîtres du genre. Comédie musicale chamarrée, drame sentimental à l’humour décapant, le film brouille les pistes avec brio pour mieux mettre en valeur la destinée hors normes de l’héroïne qui lui a donné son titre. Vendue adolescente à un bordel de Mumbai, elle va lutter toute sa vie pour le reconnaissance des travailleuses du sexe en Inde, organisant des manifestations dansées et faisant le siège du bureau de Nehru armée de sa seule personnalité, exubérante et combative.

Signe des temps et de la petite forme du cinéma en salles, Gangubai Kathiawadi ne sort que dans deux salles en région parisienne (le Gaumont Stade de France et le Grand Rex) et quelques salles en province. C’est dommage, car ce n’est qu’au cinéma que l’on peut vraiment apprécier cette ode féministe colorée. « About Joan » devrait sortir fin août. Pas de date encore pour « La Ligne » ni pour « Good Luck to you, Leo Grande »: les distributeurs sont prudents, et les spectateurs hésitent encore a revenir en salles. C’est dommage! Allez-y, on peut même se dispenser du masque. Pas comme à Berlin où pour voir tous ses films, j’ai dû refaire tester une bonne dizaine de fois. Mais l’enjeu en valait la chandelle. Et je suis une femme, donc la difficulté ne me fait pas peur.

H6: la Chine comme vous ne l’avez jamais vue

• Vous croyez qu’un documentaire n’est pas un “vrai” film? Vous avez tort. En voici un qui va vous arracher des larmes, vous faire sourire pour finalement vous laisser songeurs sur la condition humaine.

• En posant sa camera dans le tentaculaire hôpital n°6 de Shanghai, la réalisatrice chinoise Ye Ye, qui vit en France depuis 15 ans, veut décrypter le rapport à la souffrance des chinois.

• Des millions de patients qui se croisent dans ce lieu, elle en choisit six, de tous les âges et de toutes les conditions, de la petite fille dont la main a été écrasée par un bus à l’époux qui accompagne son épouse dans ses derniers instants, en passant par un vieux monsieur au genou brisé mais qui envers et contre tout, avance.

• Au fil d’un récit tantôt drôle, tantôt poignant, le film nous embarque dans les entrailles de la société chinoise, bringuebalante, chaotique et vibrante pour un voyage fascinant.

Je ne sais pas comment on dit ça en chinois mais en français oui: « courrez-y »

Conversation autour d’ « Un héros »

⁃ « Comment tu dis? Paradis?

⁃ Non, Farhadi. Comme un radis, avec un far devant

⁃ Il est afghan?

⁃ Mais nan, iranien. T’as pas vu une Séparation? A propos d’Elly? Le Passé? Tu vis ans une grotte, ou quoi? C’est un grand cinéaste. Le cinéaste des non-dits, des petites lâchetés, des minuscules mensonges au goût de vérité. Pour ce film là, il a quand même eu le Grand Prix à Cannes, je te dis ça parce que t’as pas dû avoir l’info dans ta grotte.

– Oui, bon ben, ça va! Ça parle de quoi?

Àà ce qui fait un héros, comment ça se construit, dans l’espace social, dans la sphère intime. Du coup, Farhadi nous embarque dans les marges, les interstices de nous-mêmes, dans ces espaces infimes (et intimes) ou vient se loger notre humanité mais aussi notre côté sombre: propension à la haine, peur de l’exclusion.. Bref, il a le chic pour nous emmener là où on n’a pas envie d’aller….

⁃ En Iran, tu veux dire?

⁃ Ah non, en Iran, au contraire j’irais bien. Ce pays a l’air tellement singulier, avec cette langue un peu molle, cette société schizophrène coincée entre le poids du qu’en-dira-t-on et des règles absurdes, dans lequel les gens servent de viables d’ajustement… Et puis les gens sont sont beaux, racés, comme ce Héros de Farhadi justement, Rahim, un taulard père de famille, prêt à refaire sa vie, émouvant, fort et vulnérable à la fois. Et en plus interprété par Amir Jadiddi, un acteur beau comme un dieu, ce qui ne gâche rien…

⁃ Fais voir… Ah oui quand même. Bon, ben tu m’as convaincue, j’y vais, tiens! »

Une femme du monde, deux femmes puissantes

Il y a d’abord l’affiche, étrange, un peu décalée. Il y a ce visage lisse et familier, cet air mutin contredit par des couleurs vaguement interlopes . Alors on y va. On va voir le film. Il déchire. Il vous embarque dans une histoire savamment ficelée, à Strasbourg, sur les pas d’une prostituée « à son compte » prête à mettre les bouchées doubles au turbin pour payer l’école qui pourrait remettre son fils sur le droit chemin. Pas de misérabilisme, pas de pute au grand cœur, pas de leçons de morale. Juste une femme, debout, indépendante. Une femme « du monde », consciente de la dureté de ce qui l’entoure et bien déterminée à en découdre.

Derrière la grande actrice, puissante et sensible, qu’est Laure Calamy, il y a une grande réalisatrice, Cécile Ducrocq. Auteure de court-métrages, elle s’est aussi fait la main comme scénariste sur des séries comme le Bureau des légendes et Dix pour cent. Autant dire qu’elle en connaît un rayon quand il s’agit de raconter des histoires. À elles deux, elles assurent. Leurs voix mêlées livrent une vraie pépite. Comme on aimerait en voir bien plus souvent

Le goût d’Angoulême

Où ça? À Angoulême? C’est où ça, d’abord? Faut prendre le train et tout… Pfff

Allez, j’arrête de faire ma mauvaise tête. Je reviens du Festival du Film Francophone d’Angoulême et je suis ravie. J’ai arpenté les rues ensoleillées d’une ville charmante, langoureusement lovée dans la Charente (Angoulême, je veux dire, pas moi).

En trois jours et dix films, je suis passée d’un univers carcéral en Côté d’Ivoire (La Nuit des Rois, de Philippe Lacôte) à un curieux quadrilatère amoureux en plein Chinatown parisien (Les Olympiades, de Jacques Audiard). J’ai pleuré (si si) en plongeant dans les affres de la filiation traversés une famille d’accueil ordinaire avec à sa tête Mélanie Thierry, (Mélanie, j’aurais dû venir vous voir dans le TGV, si vous lisez ces lignes, sachez que je vous kiffe comme actrice) dans La Vraie Famille de Fabien Gorgeart.

La vraie famille, avec Mélanie Thierry (mais elle est cachée, là)

Je me suis laissée porter par la musique de la poésie arabe qui est au coeur du très joli film de Leyla Bouazid, Une Histoire d’Amour et de Désir.

J’ai vu Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg comme je vous vois, toutes fluettes et toutes émues d’être là pour présenter au public « Jane par Charlotte ».

Et puis j’ai eu un choc, un vrai, avec la pépite de Samuel Theis, Petite Nature, un récit d’apprentissage âpre et lumineux, porté par un gamin de dix ans incroyable, Aliocha Reinert, avec pour toile de fond Forbach et l’espoir que portent la culture et l’éducation.

Bref, j’en ai pris plein les yeux et plein le coeur. Comme quoi dix films, c’est à la fois trop peu pour faire le tour du monde du cinéma francophone et déjà beaucoup pour faire l’expérience de sa richesse et de son inépuisable capacité à se réinventer.

Merci Hélène Maclou et Le Cercle des Actionnaires de BNP Paribas pour cette belle surprise de fin d’été.

Radicales et culottées à l’ère du post-#metoo

Aujourd’hui deux copines m’ont envoyé le genre de message que j’adore recevoir: “coucou, ça fait longtemps qu’on est pas allées au cinéma, tu nous recommandes quoi?”

La évidemment mon sang de blogueuse m’a fait qu’un tour. Évacuée en deux minutes, ma honte de ne pas avoir écrit de billets depuis dix jours. Il y a de la lumière au bout du tunnel: autour de moi, on retourne au cinéma et on me demande des conseils cinéma ! Joie ! Émotion ! Rappel que la France tient le bon bout en matière de crise sanitaire! Fierté de blogueuse retrouvée, bien que je n’aie rien publié depuis dix jours!

Et comme je suis une chic fille, je me suis dit que mes conseils pouvaient aussi donner envie à quelques personnes de retourner en salles.

Alors voilà. Pour moi, il y a deux films vraiment culottés, radicaux, et féministes en ce sens qu’ils cassent les codes de la féminité classique.

Dans “Promising Young Woman”, le scénario vous promène allègrement par le bout du nez, à la poursuite d’une heroine, campée par Carey Mulligan avec toute l’intensité qu’on lui connaît. Sur la base de cet extraordinaire personnage de femme blessée et jusqu’au-boutiste, le scénario cisèle une intrigue haletante, bourrée de rebondissements jusque dans les derniers moments. Sans oublier de déconstruire consciencieusement les codes de la comédie romantique et du film de vengeance tout à la fois. A l’origine de cette pépite, la talentueuse britannique Emerald Fennell, scénariste de la saison 2 de Killing Eve et aussi interprète très convaincante de Camilla Parker-Bowles dans la dernière saison de The Crown. Margot Robbie s’est associée au projet en tant que productrice exécutive. Bref beaucoup de talent, beaucoup d’humour (noir) et pas mal de force pour ce projet résolument ancré dans l’ère post-me too.

Intéressant aussi dans son approche de la féminité moderne, Playlist, film français de la dessinatrice de BD Nine Antico, interprété avec une énergie communicative par l’improbable duo Sara Forestier-Laetitia Dosch. Deux actrices à la personnalité bien trempée, délicieusement antinomiques, totalement engagées pour nous faire vivre les affres du passage à l’âge adulte de deux trentenaires tout sauf tartes. Ça jure, ça part en live et ça fait exploser les stéréotypes avec jubilation, le tout sur une bande-son contemporaine électrisante.

Mes copines sont allées voir Promising Young Woman et ont adoré. Je ne désespère pas de les envoyer voir Playtime ce week-end. Et vous, lequel allez-vous choisir ?

Hospitalité: rires et grincements de dents Made in Japan

Parmi les multiples plaisirs dont on avait presque oublié la saveur, il y a celui-ci: se glisser dans une salle obscure et d’être emportée, comme ça, au débotté, par l’univers d’un cinéaste dont on ne partage ni la langue, ni la culture.

C’est ce qui risque de vous arriver si vous allez voir « Hospitalité » de Koji Fukuda. Avec des airs de ne pas y toucher, ce réalisateur japonais s’est fait connaître chez nous avec Harmonium et L’Infirmière, sortis respectivement en 2017 et en 2020. Fort de ses succès assez inattendus, son distributeur européen a eu la bonne idée de ressortir plusieurs films de Fukuda, à commencer par cet ovni de 2010, Hospitalité, donc.

Dans cette fable mordante et déjantée, une famille japonaise presque comme les autres (industrieuse, polie mais aussi passablement xénophobe et un tantinet sexiste) voit débarquer dans sa petite imprimerie de quartier un mystérieux ami de la famille qui ne va pas tarder à transformer la maisonnette en communauté ouverte aux étrangers de tout poil. Comment les Kobayashi, métaphore à peine voilée d’un Japon à la fois ultramoderne et profondément traditionnel vont-ils tenir la marée? Comment vivre ensemble aujourd’hui, dans un espace contraint dominé par la valeur travail?

Sans chercher à trouver des réponses à toutes ces questions, Fukuda nous embarque, habile, dans un récit singulier, tenant à la fois du conte philosophique et du thriller. On rit, on s’agace, on s’interroge et en tous cas on se prend au jeu d’un cinéaste virtuose et anticonformiste… ce qui apparemment n’est pas simple à vivre au pays du soleil levant.

Alors lâchez Netflix, allez-y et laissez-vous cueillir. C’est tellement bon!