Ma 10ème Berlinale

Cette année à la Berlinale, j’ai tout fait comme il faut. Je me suis levée tous les matins aux aurores pour être à la première projection du matin au théâtre Marlene-Dietrich. Je me suis nourrie exclusivement de bretzel et de dönerkebab achetés à des vendeurs à la sauvette sur Postdamerplatz afin de ne pas perdre une miette de chaque film. Pour garder l’esprit clair, j’ai héroïquement résisté à l’appel de la bière, ne buvant pendant une semaine que de l’eau et du café bon marché afin de rester éveillée jusqu’à la fin de la dernière séance de la nuit.

Je n’ai pas tout vu – même la blogueuse la plus motivée du monde ne peut pas voir 200 films en 5 jours. Mais j’ai quand même vu beaucoup de choses.

Du dernier Francois Ozon (‘Grâce à Dieu’), assez plombant, à un film mongol pas mal du tout (Öndög – ça veut dire « œuf de dinosaure » et ça parle d’une très curieuse histoire d’amour et de fertilité) en passant par le premier opus du très séduisant Chiwetel Ejiofor (l’inoubliable acteur de ´12 years a slave’). « The boy who harnessed the wind » produit par Netflix, a été entièrement tourné au Malawi et avec notre Aïssa Maiga nationale qui parle couramment le chewa. Et je vous passe les films guatémaltèques, moldaves, sino-coréens tournés au Japon, etc.

Cette année encore j’ai adoré mon séjour à Berlin – meme si je dois avouer m’être parfois légèrement assoupie, les films ayant tendance à s’allonger à mesure que le numérique réduit à zéro le coût marginal de la pellicule. Mais j’ai aussi appris plein de trucs: j’ai ainsi vu un biopic sur Bertolt Brecht plutôt bien ficelé et un film d’Agneszka Holland sur Gareth Jones, un journaliste gallois dont le témoignage sur la grande famine en Ukraine en 1932 a été censuré.

J’ai aussi vu quelques belles prestations d’actrice comme celle de Juliette Binoche dans ‘Celle que vous croyez’, un joli film sur la face sombre des réseaux sociaux qui sort en salles le 27 février, ou encore celle de Diane Kruger, une nouvelle fois très convaincante dans ´Die Agentin´un film d’espionnage efficace dans lequel elle incarne un agent du Mossad postée à Téhéran peu à peu prise de doutes sur le sens de son action (on la comprend).

Pas déçue donc, mais à chaque séance j’espérais vaguement ce qu’attendent tous les cinéphiles: un coup de cœur, un sanglot ravalé, un éclat de rire irrépressible, une émotion un peu plus forte qu’à l’accoutumé. Il m’aura fallu un concours de circonstances, en l’occurrence un réveil tardif et une reculade psychologique à l’idée de faire prévaloir un drame social serbe sur mon café matinal… mais j’ai eu ce coup de cœur.

Le film s’appelle ´Werke Ohne Autor’ (« Œuvre anonyme ») et curieusement son titre international n’a rien à voir: ‘Don’t look away’. Mais qu’importe le titre. Dans ce récit plein de souffle, Florian Henckel von Donnersmarck (le réalisateur de ´La vie des autres’) livre la biographie d’un artiste fictionnel, Kurt Barnet, dont la

vie et l’œuvre sont largement inspirés de ceux de Gherard Richter. La fresque historique s’étend des années 30 au début des années 60 et ne manque pas de force, à l’instar de l’histoire d’amour qui lie le héros à sa femme, la ravissante Paula Beer (vue dans Franz, de François Ozon). Les thèmes chers au cinéma allemand comme les crimes d’euthanasie perpétrés par les nazis et la guerre froide vue de l’intérieur sont traités non sans originalité. Mais c’est surtout le bouleversant hommage à la création artistique qui fait la beauté du film. On assiste ainsi au parcours intime du jeune héros du film pour s’approprier sa vérité et marcher ainsi vers son destin d’homme et d’artiste libre.

Je ne sais pas quand ni même si ce film sortira en France. Je pressens que son destin aux Oscars, où il représentera l’Allemagne ce mois-ci, jouera un rôle dans sa distribution internationale.

En attendant j’ai pu le découvrir dans une petite salle de la Kantstrasse, avec en prime une séance de questions- réponses avec Sebastian Koch (l’acteur qui joue l’acteur dans la Vie des Autres…. vous me suivez?). Super-star en Allemagne, il était là, gentil, disponible, à échanger avec le public aux côtés de la costumière du film.

C’est aussi cela la Berlinale: la mise en valeur sans aucun snobisme d’un cinéma de qualité, accessible, pour le public et avec lui. C’est pour cette raison que je reviens chaque année, bravant le froid, traversant le Tiergarten enneigé et n’en revenant toujours pas de ma chance d’être là.

Publié par Valerie Boas

Parisienne, cinéphile et polyglotte. Je blogue depuis 2011, surtout sur sur le cinéma indépendant et aussi parfois sur d’autres sujets liés à la culture, ou non. En 2019, je prends une résolution: donner chaque semaine un conseil cinéma. Plutôt le jeudi soir, histoire de pouvoir s’organiser pour le week-end. Alors... “stay tuned” comme on dit au cinema

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